L’Ehpad Saint Charles souhaitait une œuvre originale avec laquelle chaque patient pourrait interagir, en toute liberté et sans contrainte. L’ambition était que l’œuvre contribue à maintenir le résident en activités en stimulant ses sens, ses fonctions cognitives, en rompant l’isolement et en créant du lien social.
L’artiste Santiago Torres propose d’installer un grand écran tactile avec une œuvre Composition Color. Il permettra au public de communiquer par le mouvement avec une œuvre interactive, où chacun pourra exposer ses choix et ses préférences, permettant d’échanger, de créer du lien et d’être actif, ce qui est la base de son travail.
Santiago Torres a proposé différentes « Composition Color » et l’Ehpad a choisi une composition aux formes géométriques rectangulaires qui associe un cercle, les formes rondes étant un apport positif et comme un « point d’ancrage », parce que « l’arrondi est réconfortant ».
Sur l’écran apparait l’œuvre définie par l’artiste. Selon sa propre inspiration, ce qu’il ressent, etc., le public qui passe dans cet espace, va interagir avec l’œuvre, il transforme la couleur, et aussi la forme et le volume, pour aboutir à la composition de son propre choix. La première composition a été créée à un moment spécial, elle est celle d’un instant qui appartient à l’artiste, son propre choix de couleur, dans un moment précis. L’artiste donne ensuite la possibilité de changer ces couleurs.
Chaque personne a une inspiration, à un moment donné, qui lui est particulière. C’est l’interaction qui créé la couleur. Il y a une quantité infinie de couleurs.
Le fichier original et intégré dans l’écran est un NFT : c’est un certificat de garantie sécurisé sur la blockchain, qui comporte la signature de l’artiste, l’œuvre est non falsifiable, elle est reproductible selon certaines conditions.
Au printemps, l’artiste a présenté sa démarche et son œuvre à l’équipe soignante. Il a insisté sur la nécessité que l’œuvre numérique soit un point de départ créatif. Il a ainsi proposé un atelier à partir de formes colorées et découpées, en miroir de l’œuvre numérique, pour passer de la technologie au papier. Le toucher, la création manuelle est très très importante, il s’agit de créer, de jouer, de vivre avec l’œuvre. Et ce à partir de différents média, peinture, collage, aquarelle etc. « On a beaucoup d’instruments pour jouer la musique mais pas pour la peinture » (Santiago Torres).
Un résident reste un moment hypnotisé avant de s’approcher. Certains n’osent pas dans un premier temps, « je vais tout foutre en l’air » d’un air coupable. Et c’est là que réside le cœur de ce projet : une œuvre que tous les résidents peuvent approcher et modifier à tout moment, en toute autonomie.
Les soignants guident certaines personnes, les encouragent avant que la couleur ne s’impose naturellement dans les conversations.
Cet atelier a suscité des réactions, permis des échanges. Une soignante s’étonne, les résidents qui se montrent le plus intéressés par l’interactivité sont les résidents avec un handicap plus prononcé. Un résident qu’on n’avait pas entendu la première heure lance soudain
« Vous êtes de mauvais poil vous descendez et vous venez faire une œuvre d’art ! »
Une résidente, qui aime l’ordre au point de ranger les chambres de ses co-résidents, est invitée à mettre de l’anarchie dans ces formes droites. Les gestes sont très doux. Certains sont très actifs, d’autres se contentent de regarder, un monsieur ému en début de séance s’apaise. Aussitôt créé, le tableau est modifié par le geste d’un autre. « Ah c’était beau votre petit damier ! Refaites ! refaites-le ! »